Regard d’artisan sur l’article 43 de la loi Sapin : Laurent Poirier, boulanger à Rennes.
En quoi l’article 47 du projet de loi Sapin est une menace pour l’artisanat ?
Ce serait une aberration que les artisans de demain n’aient aucune qualification professionnelle. Comment peut-on être un professionnel sans formation ? C’est totalement inimaginable. Un métier ça s’apprend. Il y a des techniques et des gestes à connaître pour l’exercer. Sinon on produirait de la camelote, ça n’aurait aucune valeur. Et ce serait même dangereux en termes d’hygiène et de santé. D’ailleurs c’est totalement contradictoire avec les normes qu’on nous impose. En boulangerie, comme chez d’autres artisans, nous avons des protocoles… Par exemple si vous ne savez pas refroidir une crème vous créez un risque sanitaire pour le consommateur. Sans formation ni qualification vous pouvez aller jusqu’à empoisonner les gens.
Cela va loin en effet…
Oui. Et puis est-ce réaliste de s’installer sans qualification ? Allez demander à une banque, vous n’aurez jamais de prêt si vous n’êtes pas qualifié. Donc avec cette mesure, d’un côté il y aurait les financiers ou les industriels qui se frotteraient les mains. De l’autre il y aurait bien des chômeurs qui se transformeraient en micro-entrepreneurs… Mais ils n’iraient pas loin. Ça ne créerait pas de croissance, ni d’emplois. Et le savoir-faire se perdrait. Or les consommateurs sont de plus en plus exigeants. Ils viennent chez les artisans pour les produits de qualité, les produits de saison. Ils sont plus vigilants sur les allergènes aussi. Encore une fois, tout cela s’apprend. Et les jeunes qui sont en formation aujourd’hui, qu’est-ce qu’on en ferait ? C’est une question importante ça. Allez leur expliquer que leur diplôme ne sert à rien ? En plus la qualification crée de l’émulation et dynamise le marché. Par exemple en 1996 il y avait 800 000 entreprises artisanales ; aujourd’hui il y en a 40% de plus* ! La preuve est faite non ? Pourquoi casser quelque chose qui fonctionne ?
Mais cet article 43, il vient d’être retiré non ?
Oui, c’est tout récent. Heureusement que l’UPA s’est mobilisée. En fait elle a pris au mot le gouvernement et lui a montré l’absurdité de cette mesure avec la campagne www.maboxloisapin.fr. C’était très bien car à la fois humoristique et sérieux. Cette action les a mis devant leurs responsabilités en les projetant dans leurs futurs métiers : boulanger, bouchère, électricienne, plâtrier, esthéticien, mécanicienne… Six ministres-phares du gouvernement ont reçu en cadeau à leur ministère une « Ma Box Loi Sapin 2 » pour les préparer à leur future reconversion à un métier de l’artisanat. S’il est si facile de devenir artisan, un simple kit « Ma Box Loi Sapin » devrait leur suffire ! Ça a été porteur. La campagne est allée jusque dans le monde de l’apprentissage, on a réussi à mobiliser les apprentis via les réseaux sociaux, qu’ils utilisent énormément. Les parents et les enseignants ont aussi été touchés. Et tout ça grâce à la force collective des 3 grandes organisations fondatrices de l’UPA, la CAPEB (artisanat du bâtiment), la CNAMS (métiers de service et de fabrication), la CGAD (alimentation de détail et hôtellerie-restauration) et d’un membre associé, la CNATP (métiers du paysage et des travaux publics). Mais attention, même si la menace semble aujourd’hui évincée, il faut rester vigilants.
(* Source : UPA)
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